pendus

L'ÉPITAPHE

VILLON

dite

Ballade

des

pendus

*


Frères humains qui après nous vivez,
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous autres avez,
Dieu en aura plus tost de vous mercis.
Vous nous voyez cy attachés cinq, six :
Quand de la chair que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De nostre mal personne ne s'en rie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

Si frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoi que fusmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis;
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!

La pluie nous a débués et lavés
Et le soleil desséchés et noircis;
Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés,
Et arrachés la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ça, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie:
A luy n'avons que faire ni que souldre.
Hommes, icy n'a point de moquerie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!


         François de Montcorbier - dit Villon (1431 - vers 1480)


Poème extrait de "Les Poètes du Moyen-Âge". Si vous êtes intéressé par ce recueil, R.V sur :

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