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Poèmes de Micheline Maurel

Extraits de "Au soleil du soir"

(Editions de La Lucarne Ovale)

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Si vous êtes intéressé par ce recueil, R.V sur :

http://la-lucarne-ovale.monsite-orange.fr/page-570...

SÉLECTION AU REVIER

                                                           

                                          (A la mémoire de Pani Irena
                                          et Valentina Féodorovna)



Leurs bottes martelaient le couloir. Ils entraient
Une tête de mort luisait à leur casquette.
Blokowa et docteur les suivaient inquiètes.
Cris, cantiques, jurons, toutes voix s’arrêtaient...

Et leur doigt aussitôt pointait sur nos squelettes :
“Celle-ci, celle-ci, celle-ci, celle-là,
“Celle-ci, celle-ci là-bas...” La blokowa

Marquait des numéros tremblants sur ses tablettes.

“Celle-ci, celle-là, les trois de ce châlit...”
Parfois la blokowa osait une réplique :
“Celle-ci dès demain retourne à la fabrique !”
Le doigt pointait ailleurs : “celle-là, celle-ci..”.

Ils sortaient. Derrière eux, la tête plus courbée,
Blokowa et docteur. Les bottes s’éloignaient
Dans la salle, un instant le silence régnait,
Puis les cris, les sanglots, les râles, les huées...

Alors la blokowa plus pâle revenait;
Elle ne disait plus comme deux ans plus tôt :
“Vous partirez ce soir pour un camp de repos”;
La vérité, plusieurs l’avaient su deviner.

Elle tentait pourtant de calmer les malades
Qu’elle n’avait pas pu sauver cette fois-ci.
Le camion arrivait sitôt qu’il faisait nuit;
On le chargeait. Il repartait. De grandes flammes
Jaillissaient dans la nuit sur le camp principal.

“Ceux du prochain transport auront des savonnettes”
Ricanaient doucement quelques pauvres squelettes.

                                            Micheline MAUREL

                                                              Neubrandenburg, mars 1945
                                                                  Transcrit le 5 août 1998

ALERTE


(Composé à Neubrandenburg, Kommando de Ravensbrück,
pendant le bombardement de l'aérodrome)


Le chaud matin d'août se termine,
l'air est d'un flamboyant cristal,
et, derrière cette colline,
tintent les notes d'un signal.

Ce signal et ce beau temps, certes
préludent un bombardement...
Soudain la sirène d'alerte
pousse quinze mugissements.

Etincelants dans la lumière
paraissent les premiers avions,
puis un roulement de tonnerre
sur le terrain d'aviation.

Fracas intense, l'on devine
les obus qui tombent serrés
et derrière cette colline
crépitent les toits effondrés.

Nos baraques sont secouées
et de l'invisible terrain
toujours de nouvelles nuées
s'élèvent dans le ciel serein.

L'alerte enfin est terminée
et les avions ont disparu,
Il ne reste que la fumée
dans le silence revenu.

Mais dans ces nouvelles ruines,
et pendant le retour encor,
et derrière cette colline
combien d'hommes sont tombés morts.

                                   Micheline MAUREL
                                         Août 1944

MARCHE EN PAYS VAINCU


L'officier russe a dit : "Vous pouvez tout leur prendre.
Vous êtes les vainqueurs, tous leurs biens sont à vous.
Et si quelqu'un refuse ou bien vous fait attendre
Pour vous le fusiller appelez l'un de nous !"

Quand nous entrons chez eux en robes de bagnardes,
Ils deviennent tout blancs et jettent sous nos pas
Leurs trésors, leurs bijoux, leur mangeaille, leurs hardes.
Nous prenons ce qu'il faut pour le prochain repas

Et puis nous repartons seules par la campagne,
Dresser un petit feu comme des Bohémiens,
Quand nous aurions les feux de toute l'Allemagne
Et quand nous aurions pu emporter tous leurs biens.

Et oui, nous aurions pu ! Mais si dans la lumière
Nous marchons librement et libres désormais,
Notre âme, je le sens, demeure prisonnière...
Et de cette prison sortirons-nous jamais ?


                  Micheline MAUREL
Composé en route, entre le 1er et le 12 mai 1945
Reporté sur papier à Toulon, en été 1945.
Traduit en polonais, en vers à Londres
Par le poète Anton Boguslawski en automne 1946.

LA "JOURNEE DES DEPORTES", 1999


                                         Pour Elise Simorre

Elise, vous allez ce jour dire à Toulouse
Quelques-uns de ces vers griffonnés dans les camps...
J'espère que les mots sortant de votre bouche
Ne ranimeront pas les scènes de ce temps.

Sur les baraquements c'est la nuit et la neige
Que la clarté des projecteurs fait scintiller
Immobiles, debout, en rayés bleus et beiges;
Nous sommes à l'Appel, cinq par cinq, des milliers.

Le commandant du camp agite sa cravache,
La gardienne à grands pas s'approche de nos rangs
Pour nous compter encor, encor, combien de fois ?
Nous l'attendons, les talons joints, en grelottant.

Qui va-t-elle frapper cette fois ?... Oublier,
Garder encore un peu le rêve familier,
Le retour, la maison, la chaleur et le pain !...
Les coups tombent. Ne pas gémir, ne pas crier.

Elle s'éloigne enfin dans son capuchon noir.
Au dernier rang quelqu'un sans bruit s'est effondré...
Une qui n'a plus mal, une qui n'a plus froid.
Qui sait combien de temps encore je tiendrai ?

D'un hurlement l'Ober a mis fin à l'attente.
Tous les corbeaux du bois s'élèvent en criant,
Nous arrachons nos pieds à la neige pesante,
Il faut marcher, marcher pour nous remettre en rang.

Le corps de la malade est resté dans la neige.
Il faut la laisser là où plus tard la charrette
Qui ramasse les morts viendra la ramasser.
Pour nous encore un jour vient de recommencer.

                                                        Micheline MAUREL

                                                          25 avril 1999